Pêche de printemps : le silure à vue, sensations fortes garanties !

Le silure a pointé ses moustaches dans nos retenues corréziennes au début des années 2000, dans un mouvement global de colonisation des eaux européennes susceptibles d’accueillir cette espèce aux capacités d’adaptation hors norme.
Ses populations corréziennes, discrètes aux premières années, sont aujourd’hui en phase de développement rapide sur certains plans d’eau : Bort-Les-Orgues, Marcillac, Les Bariousses, Le Chastang, Hautefage possèdent en 2024 des densités de sujets importantes, avec une pyramide des âges encore très jeune et une majorité de captures dans la classe des 1m-1,30m et peu de gros sujets ; un peu plus pour Bort-Les-Orgues dont la population de silures est plus ancienne, comme pour ses voisins cantaliens d’Enchanet et de Saint-Etienne-Cantalès.
Quand j’écris plus ancienne, il s’agit de quelques années, 10 tout au plus. Ce qui signifie que si vous voulez anticiper l’état des populations dans nos eaux dans une dizaine d’années, aller tremper ses lignes dans les lacs du Cantal est une bonne façon de voyager dans le futur proche de nos propres eaux.
Le bouleversement écologique entraîné par ces cohortes de nouveaux carnassiers dans des milieux aquatiques plutôt pauvres est une évidence. Le choc est amplifié par le fait que la croissance de ces populations est encore dans sa période « explosive » et que la phase de décroissance puis de stabilisation à l’équilibre n’est pas atteinte.
Qu’on regrette l’arrivée de ce poisson « visqueux », à la « sale gueule » ou qu’on se réjouisse de pouvoir se confronter à un nouveau partenaire de pêche, difficile de contester que la capture d’un machin de 7, 15 ou plus de 20kg sur nos ensembles habituels à sandre ou à brochet pimente une sortie de pêche et est plus qu’une alternative intéressante à nos pêches habituelles.
Cette situation offre de nouvelles opportunités de pêche que je vous invite à explorer.
Beaucoup des confrères pêcheurs qui ont sauté le pas de la révolution électronique du sondeur Live, qu’il soit « scope », « méga » ou « target » découvrent de nouveaux horizons de pêche des silures dans la couche d’eau supérieure où les carnassiers se tiennent souvent en groupes et réalisent des pêches inenvisageables sans ces béquilles technologiques.
Cet équipement représente un investissement financier inaccessible à la majorité des pêcheurs et je ne le possède pas, pour d’autre raisons.
Je ne suis pas favorable à sa diffusion car la destruction des grands carnassiers de nos plans d’eaux dont il est un facteur à mon avis important représente un vrai sujet dont il serait bon de s’emparer sans attendre que la nature s’adapte seule à nos nouveaux modes de prédation : « quand il n’y en aura plus, et bien je ferai autre chose que pêcher », disait un adepte de l’adage « du Livescope au congélateur » sur le Chastang, en réponse à la remarque que le prélèvement soutenu de gros sandres et brochets pélagiques, poissons âgés de 10 ans et plus n’est pas soutenable pour le milieu.
Vous aurez compris que je ne suis pas fan de la technique et, heureuse coïncidence, pour la pêche que je vous propose de tester, le matériel requis est très simple et les sensations fortes garanties sans électronique embarquée.
Une canne de puissance H, disons 30-80g, un moulinet garni d’une tresse de 20 à 25 centièmes, une pointe en nylon ou fluorocarbone de 70 centièmes, un leurre souple armé suffiront amplement.
En fait, les ustensiles les plus indispensables sont une paire de lunettes polarisantes et une casquette à large visière.
Car il s’agit ici de pêcher le silure à vue.
La technique de pêche en soi est très simple, mais les conditions requises pour la pratiquer avec succès ne se rencontrent en général que durant quelques semaines au printemps. Car bien évidemment qui dit pêche à vue dit « eau claire » et « poissons peu profonds ».
En pratique, il s’agit de profiter du moment dans l’année où les gros carnassiers sont attirés dans très peu d’eau par le raffut créé par les poissons blancs qui frayent.
Le signal déclencheur de ces pêches inoubliables, ce sont les cohortes de brèmes qui se regroupent sur les rives et se poursuivent inlassablement dans leur ballet reproductif. C’est tout sauf discret, ça brasse l’eau, ça éclabousse, et le taux d’hormones élevé fait perdre toute prudence à ces animaux tendus vers l’unique objectif du renouvellement de l’espèce.
Si vous assistez à ce spectacle, vous constaterez que l’eau a atteint au moins la température de 17°C, que le niveau du lac est probablement haut à très haut (le support de ponte favori, ce sont les herbes de bordures immergées). Vous observerez que les brèmes ne sont pas seules à faire le spectacle : des quantités de gardons sont également présents, au comportement tout aussi déjanté.
De temps à autre, des remous puissants accompagnés d’éclaboussures prolongées vous donnent l’impression que quelqu’un est en train de se noyer et se débat contre la rive. Pas de panique, ce n’est pas un baigneur en difficulté, juste des carpes qui participent également à la frénésie reproductive, plusieurs poissons de 5, 10 ou 15kg dont les dos émergent et qui se poursuivent et brassent vigoureusement l’eau dans les herbes ou les branches.
Pêcheur mon ami, si tu es le témoin de ces moments orgiaques et que la visibilité est suffisante alors il est hautement probable qu’avec un peu d’attention, suffisamment de discrétion et une bonne paire de lunettes polarisantes, tu pourras identifier, posé au fond, une silhouette noire immobile, ou plus fréquemment, un poisson aux mouvement souples, en maraude tranquille le long de la bordure.
Quelquefois quand les conditions sont bonnes, les silures seront visibles comme le nez au milieu de la figure, taches noires mobiles sur une plage de sable clair, ou posés, immobiles, sur un tapis d’herbe verte submergée par les hautes eaux.
Mais on sera au printemps en Corrèze, souvent il pleuvra, il y aura du vent, la luminosité sera mauvaise, et alors le succès dépendra essentiellement de la capacité à plonger sont regard sous la surface, à identifier « un truc pas normal », un tronc « bizarre », une tache sombre en limite de visibilité, bref, quelque chose « différent du reste ». Dans ces conditions de visibilité un peu limite, la règle est que si vous avez l’impression qu’il y a « quelques chose » sans en être sûr, pêchez comme s’il s’agissait d’un silure et surtout ne vous approchez pas jusqu’à constater que c’en était bien un…mais que vous l’avez effrayé !

Zone favorable à la reproduction des poissons blancs

Carpes en période de fraye

Carpes en action – attention ça brasse !
Les maîtres-mots d’une pêche réussie dans ces conditions sont discrétion, rapidité et précision.
Une fois le poisson repéré, reste à lui présenter proprement un leurre qui le fera réagir correctement.
Que le silure réagisse quand il percevra le leurre, c’est certain.
Dans ces conditions de pêches de bordure je n’ai jamais été confronté à des poissons indifférents.
Et selon la façon de pêcher, il y a peu entre l’attaque et la fuite éperdue.
Il faut une stimulation très puissante pour inciter les silures à s’exposer à des conditions de luminosité qui ne leur conviennent pas. Une grande quantité de poissons blancs de bonne taille à l’esprit absorbé par la fraye en est une. Mais si le silure décide de s’exposer ainsi, il est dans ces conditions particulièrement méfiant, craintif et prompt à rejoindre rapidement les profondeurs à la moindre alerte.
Un bateau qui s’approche doucement et sans autre bruit que le moteur électrique ne l’effraye pas, et vous pouvez approcher un poisson à 3m sans difficulté en respectant trois règles simples : les chocs contre la coque sont proscrits, de même que l’ombre portée du bateau sur le poisson et les variations brusques du régime moteur.
Si le poisson est immobile, vous avez le temps de préparer votre lancer. Prenez ce temps en considérant que tout lancer qui ne se solde pas par une attaque est un risque de mise en fuite de votre cible.
S’il est mobile, il vous faudra faire vite pour présenter votre leurre. Pour peu que les conditions de visibilité soient réduites, il est fréquent de ne disposer que d’une fenêtre de tir de quelques petites secondes avant que le silure ne disparaisse. La rapidité d’action est alors primordiale ; c’est pourquoi il vous faudra rester à la proue de votre bateau, canne et leurre en main « prêt à faire feu ». Si vous avez pêché la truite en nymphe à l’arbalète, et bien vous serez ici dans les mêmes conditions, pour peu qu’on puisse comparer un grub de 20cm à une pheasant tail.
Reste à faire mordre l’animal.
L’action type est la suivante : vous avez trouvé une bordure sur laquelle des poissons blancs se sont regroupés pour frayer. Debout dans votre bateau, lunettes polarisantes sur le nez, canne et leurre en main, vous déplacez lentement et sans bruit le long de la bordure de sorte qu’à 3m du bateau vous soyez en limite de visibilité du fond.
Souvent vous constaterez que plusieurs silures sont présents sur la zone, apparaissent et disparaissent en limite de visibilité.
Lorsqu’un silure est à proximité du bateau, disons à 5m de distance, vous déposez délicatement votre leurre à la surface par un balancé sous la canne et le laissez couler un mètre ou deux au-delà du poisson puis le faites passer tranquillement au-dessus de sa tête, sans animation brusque. Si tout se passe bien, le silure va le happer violemment.
Prenez soin alors de reculer plus au large pour combattre le poisson sans casser le coup.

Silure pris à vue
Les secteurs favorables sur le lac de Marcillac :


La période :
Le silure à vue c’est comme pour les champignons : il faut être au bon endroit au bon moment.
En 2024 par exemple, les gros poissons étaient présents sur les bordures du 10 au 30 mai, jusqu’à mi-juin ils restaient visibles dans les arbres immergés.